Maurice Express

Ils passent, ils déposent, ils stationnent. Les bus de l’Île Maurice ne laissent pas indifférents. Leurs couleurs vives attirent le regard, leurs noms décalés amusent et leurs dessins sophistiqués remplacent les pancartes de publicité. Une certaine esthétique du folklore règne sur ces vieilles carcasses métalliques. Palmiers, dauphins, fleurs, vagues invitent à l’évasion et font oublier les intérieurs rustiques et délavés des bus d’un autre temps.


Cette pratique de décorer son moyen de locomotion se nomme le « truck art », une tradition – d’avantage réalisée sur des camions – née dans les années 1940 en Asie du Sud entre le Pakistan, l’Inde et le Népal. Au départ, ces logos tape-à-l’oeil consistaient à attirer un public plutôt illettré, puis sont entrés dans la culture populaire mauricienne. La diversité des langues que l’on retrouve sur les inscriptions traduit la multiculturalité du paysage mauricien. Il en est de même pour la religion, l’île fait cohabiter entre elles plusieurs identités ethniques et religieuses. Dès lors, certains chauffeurs arborent un petit temple sur leur tableau de bord, d’autres accumulent les grigris et amulettes en tout genre. Les peintures elles, représentent souvent des animaux, divinités et autres motifs floraux ou religieux. À l’île Maurice, l’art est peu investi tant dans le domaine privé que public. La customisation des bus offre alors une visibilité aux artistes et un support d'expression significatifs.


Chaque bus est géré par son propriétaire, un conducteur et un contrôleur. L'industrie des transports est principalement masculine. Quand ils ne conduisent pas, ils patientent, parfois plusieurs heures, dans leur bus ou sur la station. Pour s’occuper, ils fument à l’intérieur, discutent avec leurs collègues, roupillent un moment. Puis, quand vient le départ, le contrôleur arpente l’allée principale pour récupérer les roupies nécessaires au voyage. Pendant le trajet, les pots d’échappement ronronnent, la fumée s’échappe. Le voyage s’avère brinquebalant et la conduite peu rassurante.


Depuis 2019, le métro a investi une partie de l’île et suscite de nombreuses controverses, en effet, plusieurs habitations ont dû être détruites et les conducteurs craignent de perdre leur emploi. Car les bus restent le transport le plus utilisé par les Mauriciens, grâce à son dense réseau et son coût bon marché. Depuis quelques années, de nouveaux bus « express » font leur apparition sur les routes et se distinguent de leurs prédécesseurs, les « standards ». Plus modernes, plus rapides, climatisés et parfois même dotés du wifi, ils se rapprochent des modèles « européens ». L’uniformisation des transports, bien que davantage efficace et régulée, menace l'authenticité de ces perles de la route qui sont inscrites dans le paysage mauricien. Ce travail tente de questionner les enjeux de la modernisation face aux aspérités culturelles.